À quoi ressemblerait réellement une femme mi-poisson mi-humaine si elle nous apparaissait
aujourd'hui et qu'en ferait-on ? Bien loin du caractère sensuel que nous lui connaissons, sans
doute serait-elle plus proche du phoque ou de l'otarie. Étudiée par des spécialistes, disséquée par
des scientifiques, elle finirait très probablement exposée dans un jardin d'acclimatation, livrée au
regard des visiteurs. Du moins, c’est le postulat de départ.
Imaginez alors un vivarium dans lequel trois actrices deviennent sirènes. À mesure qu’elles entament
leurs mues, on s’interroge : que nous raconte aujourd'hui la sirène, cet être hybride,
mi-femme mi-animal ? Comment échapper aux canevas moraux que nous lèguent les mythes ? Que faire de
notre héritage fictionnel ? Jouant des codes du zoo et des spectacles d’otaries, Hélène Bertrand,
Margaux Desailly et Blanche Ripoche créent un véritable vivarium scénique dans lequel elles multiplient
les expériences pour disséquer le mythe de la sirène. Dans un grand ballet visuel dénué de mot ou
presque, elles cherchent à libérer nos imaginaires et questionnent notre rapport aux fictions, aux
savoirs, et aux croyances avec humour et désinvolture. Proposer une expérience sensible autour de nos
mémoires collectives : tel est le pari de Sirènes !
Pour aller plus loin
Dans ce spectacle la sirène est un point de départ pour questionner nos fictions, celles qui forment
notre patrimoine culturelle et les fictions qui, au fil de l’histoire, sont devenues réalité ; celle,
par exemple, d'une nature sauvage devant être domptée par l’homme. Nous postulons que ces histoires
- réelles ou non - contiennent leurs lots d'absurdité et de désuétude. Avec Sirènes, nous
interrogeons la frontière ténue entre le réel et les fictions, entre l'Histoire et les histoires,
toutes trois persuadées qu’il est d’abord question de point de vue et de la place que nous occupons sur
la grande échelle du vivant. Nous tentons ici de détricoter les récits dominants et de faire émerger
d’autres versions possibles.
Sirènes est un spectacle drôle, à la frontière entre le théâtre et le clown, dans lequel nous
renversons par l'absurde nos représentations mythiques, héroïques, historiques. Il s'agit
d'un ballet expressionniste, d'un rituel cathartique ou encore d'une traversée épique
dépourvue de mots ou presque. A l’instar de la sirène nous tâchons de rester insaisissable et de fuir
les situations univoques. Sur scène, les choses adviennent et se transforment avec une chronologie et
une logique qui leurs sont propres, nous passons d'une situation à l'autre avec malice et
désinvolture.
Dans Sirènes nous sommes nues. Et ce n'est pas grave. Nous faisons l'expérience joyeuse
d'un corps inculte, dépourvu de son caractère sexuel et sensuel. L'objectif : faire oublier
notre nudité, la banaliser, en rire, faire de nos corps de femmes autre chose, quelque chose de simple,
ridicule et puissant.
À travers cette expérience, nous cherchons à questionner nos mythes : nos représentations du féminin et
du sauvage, notre rapport au savoir et à ce que nous nous entêtons à nommer “nature”. Autant de
représentations que nous souhaitons réinventer.